Des sondages à la fouille programmée de la Réserve Archéologique
Fin août 1996, une équipe d’archéologues de l’Afan (Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales) conduite par Dominique Pouille vient réaliser des sondages sur un terrain récemment acquis par la Ville de Carhaix à l’entreprise Manac’h, rue du Docteur Menguy, pour la construction d’un centre culturel.
A quelques centimètres de profondeur, de conséquents vestiges apparaissent rapidement : une large rue bordée de grands bâtiments dont certains sont dotés d’hypocaustes, des bases de colonnes alignées ou encore une fontaine. Devant l’importance des vestiges, le projet communal est déplacé sur la zone de Kerampuilh : c’est aujourd’hui l’Espace Glenmor. Dès lors, que faire d’un site au potentiel archéologique « exceptionnel » ? La presse locale se fait l’écho des questionnements de l’époque : pourquoi ne pas organiser une fouille programmée du site et le valoriser ensuite, voire même doter Carhaix d’un lieu dédié à
son passé antique ?
Le coût restant très important pour la seule Ville de Carhaix, le Conseil départemental du Finistère portera le financement la fouille du site, déclaré entretemps réserve archéologique. Sous la direction de Gaétan Le Cloirec, et de la spécialiste du mobilier Françoise Labaune (Afan puis Inrap), le chantier est engagé en 2000. Chaque été, durant huit saisons d’un à deux mois, les
stagiaires bénévoles se relaient pour fouiller 3500m² de terrain. Tout un quartier de la ville romaine apparaît, à quelques dizaines de centimètres sous le sol moderne.
La zone fouillée atteint 4075m² fin 2007. Il s'agit d'une des plus vastes opérations d’archéologie urbaine de la région. Sous la direction de deux archéologues de l'Inrap, Gaëtan le Cloirec, responsable d'opération, et de Françoise Labaune, céramologue, les fouilleurs mettront au jour un quartier du IIIe siècle ap. J.-C., témoin de l’organisation urbaine et de la vie d’une capitale de cité à l’époque gallo-romaine.
Ce quartier se serait développé de part et d’autre d’une rue que l’on appelle decumanus (grande voie romaine axée est/ouest). Les archéologues ont découvert sept bâtiments : deux côtés nord-ouest du site (près de la fontaine) ; un coté nord-est (à l’emplacement du centre d’interprétation) ; deux au sud-ouest de la voie (les mieux fouillés et mis en valeur sur le site) ; les deux derniers se situent au sud sud-est de la voie (bien en retrait et non mis en valeur). On peut distinguer plusieurs phases d’occupation de ce quartier entre le Ier et le IVe siècle ap. J.C., visibles grâce à l’usure et aux différents empierrements de la voie.
La fouille de la réserve archéologique a surtout permis de mettre à jour deux beaux exemples de maisons (domus) assez luxueuses possédant tout le confort nécessaire au bien-être de ces habitants : le chauffage au sol grâce au système d’hypocauste, une salle de réception (triclinium), l’eau courante et même des thermes privés. Divers mobiliers ont pu être découverts, étudiés et conservés au dépôt du Centre Départemental d’Archéologie du Faou : clous de porte, boutons de vêtement, fibules, monnaies, bagues, manche de miroir, stylet, clés, dés à jouer en os, etc.
Un quartier du Carhaix antique
La zone est occupée à partir du 1er siècle ap. J.-C., rapidement après la fondation et la mise en place de la voierie de la ville. Le quartier s’organise autour d’une large voie décumane (est-ouest), reconnue sur plus de 70 mètres, très fréquentée et entretenue jusqu’au 3ème siècle ap. J.-C. Des venelles cardines (nord-sud) découpent ensuite le quartier en îlots.
Les connaissances pour les occupations aux 1er et 2ème siècles sont très lacunaires : les installations postérieures sont
venues perturber les premières constructions. On y découvre toutefois les traces d’habitats modestes et d’ateliers d’artisans, notamment celui d’un bronzier. Un remaniement complet intervient au début du 3ème siècle avec une densification et une monumentalisation des constructions.
Deux vastes domus (1000m² pour la plus grande) sont édifiées au sud de la voie décumane. Elles adoptent un plan de type
« méditerranéen », avec portique de façade supportant un étage et cour à péristyle à l’intérieur de l’îlot. Les hypocaustes - systèmes de chauffage en sous-sol, les bains, les fresques : autant de signes indiquant la présence d’habitants fortunés. Les artisans qui occupaient le quartier durant les siècles passés se sont-ils enrichis ? Ou ont-ils été déplacés aux franges et remplacés par des Osismes de plus haut rang social ?
Concomitante à l’allongement de l’aqueduc de Vorgium de 11 à 27km de long, triplant le débit en eau, cette monumentalisation du quartier est un phénomène également constaté lors de la fouille du centre hospitalier en 1995-1996, à quelques centaines de mètres à l'ouest de la Réserve Archéologique. Le dynamisme urbanistique et architectural de Vorgium, aux 2ème et 3ème siècles, serait une traduction concrète d’un essor économique de la cité Osisme.
De la fouille à la valorisation : le centre d’interprétation archéologique virtuel Vorgium
Dès 2003, le recours aux « montages 3D » était déjà évoqué par le maire de Carhaix, Christian Troadec, comme solution de valorisation des vestiges mis au jour depuis 2000 sur le site de la Réserve archéologique. Le projet d’ouvrir un centre d’interprétation virtuel, qui portera le nom de Vorgium, est ainsi engagé.
Le projet combine les efforts d’une multiplicité d’acteurs : archéologues de l’Inrap, historiens et universitaires spécialistes de la période romaine en Bretagne, élus et services de différentes collectivités territoriales - Région Bretagne, Conseil départemental du Finistère et Poher Communauté - et de l’Etat (Service Régional d'Archéologie), bureaux d’études, architectes, scénographes et entreprises.
Le 13 juillet 2018, 311 ans après la première mention de découvertes publiée par l'antiquaire Guy Alexis Lobineau dans son Histoire de Bretagne, les habitants de Carhaix et du Poher renouent avec Vorgium via un centre d'interprétation en portant le nom, dotant le territoire d’un lieu dédié à une histoire qui a traversé l’espace et le temps, redécouverte grâce à l’archéologie.